Six mois après la mise en place des travaux et la première proposition de loi le 31 janvier 2023 [1], la proposition de loi sur l’encadrement de l’influence commerciale a finalement été adoptée à l’unanimité par le Parlement et publiée au journal officiel (ci-après la « Loi »).

La commercialisation de produits par les influenceurs via les réseaux sociaux est devenue « une véritable filière économique » [2], d’où la nécessité d’encadrer juridiquement ce nouveau métier.

Un cadre juridique protecteur des consommateurs via l’interdiction des pratiques commerciales déloyales (articles L.121-1 et suivants du code de la consommation) existe et a d’ailleurs servi de fondement à la condamnation d’une influenceuse pour avoir présenté un service de trading avec récupération automatique des sommes en 2021 [3].

La DGCCRF a en effet confirmé que les publications des influenceurs sont susceptibles d’avoir une incidence significative sur le comportement économique des personnes qui les suivent. Face à la recrudescence de pratiques commerciales trompeuses et illicites sur les réseaux sociaux touchant un public souvent très jeune, cette Loi entend règlementer l’activité des influenceurs et l’information des consommateurs. Ainsi, la Loi précise et complète certaines dispositions existantes afin de les appliquer spécifiquement au commerce sur les réseaux sociaux.

Notamment la Loi donne une définition juridique de l’activité d’influence commerciale :

« Les personnes physiques ou morales qui, à titre onéreux, mobilisent leur notoriété auprès de leur audience pour communiquer au public, par voie électronique, des contenus visant à faire la promotion, directement ou indirectement, de biens, de services ou d’une cause quelconque exercent l’activité d’influence commerciale par voie électronique. ».

En outre, elle intervient sur plusieurs postes de la filière économique telle que l’information des consommateurs (1) ; les questions de responsabilité à l’égard des acheteurs dans le cadre du dropshipping (2) ; l’activité d’agent (3) et les sanctions et contrôles (4).

 

L’information du consommateur

  • Les publicités limitées et interdites

Ainsi, la Loi interdit les promotions suivantes [4] :

  • chirurgie et médecine esthétique,
  • produits et services financiers,
  • produits contrefaits,
  • sachets de nicotine,
  • abonnements à des conseils ou des pronostics sportifs,
  • ou la publicité impliquant des animaux sauvages.

La DGCCRF a commencé à diligenter des enquêtes et a été amenée à délivrer plusieurs injonctions administratives de cessation des pratiques commerciales trompeuses illicites auprès d’influenceurs ayant partagé les promotions suivantes :

  • prestations de médecine esthétique réalisées par une esthéticienne ne disposant pas de la qualité pour effectuer des actes médicaux,
  • service de conseil en paris sportifs et pour avoir donné l’impression qu’un service de cash out sur le compte CPF est licite alors qu’il ne l’est pas.

Aussi, la Loi impose que certaines publicités soient encadrées au vu de leur caractère particulier :

  • la promotion de jeux d’argents en respectant les règles relatives à la protection des mineurs (exclusion des utilisateurs mineurs et communication claire, lisible et identifiable de l’interdiction de ce contenu aux mineurs) [5];
  • la promotion d’inscription à des formations professionnelles (compte CPF) en indiquant les modalités de financement, les règles d’éligibilité, l’identification du prestataire de la formation [6].

 

  • La loyauté dans l’information

La mise en place d’affichages particuliers par le biais d’une mention devient obligatoire sur les publications des influenceurs sur les réseaux sociaux en fonction de la nature de la publicité :

  • l’existence d’une publicité : claire, lisible et identifiable directement sur l’image ou sur la vidéo [7];
  • la véracité des informations : comme pour les publicités contenant des mannequins, l’ajout de la mention « photographie retouchée » a été introduite par le décret n°2017-738 du 4 mai 2017 relatif aux photographies à usage commercial de mannequins dont l’apparence corporelle a été modifiée, les influenceurs devront dorénavant se conformer à une obligation similaire.

En effet, dès lors qu’elles font l’objet d’une modification, c’est-à-dire d’une retouche ou d’une production par le biais d’une intelligence artificielle (filtre), celles-ci devront respectivement comporter la mention « Images retouchées » et/ou « Images virtuelles » [8].

 

La responsabilité à l’égard de l’acheteur dans le cadre du dropshipping

La pratique du dropshipping ou livraison directe correspond à la vente sur internet de produits par un vendeur, dans laquelle le vendeur fait appel à un fournisseur indépendant pour l’expédition de la marchandise.

L’influenceur qui assure la promotion des produits commercialisés sous la forme du dropshipping est qualifié d’influenceur commercial et est, à ce titre, assimilé au vendeur au sens du droit de la consommation. Ainsi, il est soumis au principe général de responsabilité de plein droit du vendeur à l’égard du consommateur [9] et la Loi met à sa charge une obligation d’information précontractuelle renforcée :

  • obligation de communiquer l’identité du fournisseur et les informations précontractuelles prévue par le code de la consommation [10];
  • obligation de s’assurer de la disponibilité du produit, de sa licéité et qu’il ne s’agit pas d’un produit contrefait [11].

L’objectif est de pallier l’aléa qui existe pour le consommateur, puisque l’influenceur qui commercialise des produits via la pratique du dropshipping n’a aucune maitrise de la marchandise qu’il ne détient pas en stock, ce que le consommateur doit savoir avant de conclure un contrat.

 

L’activité d’agent d’influenceur

La Loi instaure également une définition juridique de cette activité :

« L’activité d’agent d’influenceur consiste à représenter, à titre onéreux, les personnes physiques ou morales exerçant l’activité d’influence commerciale par voie électronique définie à l’article 1er avec des personnes physiques ou morales et, le cas échéant, leurs mandataires, dans le but de promouvoir, à titre onéreux, des biens, des services ou une cause quelconque. » [12]

Désormais, la relation entre un agent d’influenceur et un influenceur doit être stipulée dans un contrat écrit, contenant les clauses suivantes à peine de nullité [13] :

  • l’identité des parties,
  • la nature des missions confiées,
  • les modalités de rémunération,
  • les droits et obligations des parties,
  • l’application du droit français.

Lorsque les influenceurs ne sont pas établis sur le territoire d’un Etat membre de l’Union Européenne, ils doivent désigner par écrit une personne morale ou physique pour assurer une représentation sur le territoire de l’UE et devront souscrire à une assurance civile lorsque le public est établi sur le territoire français [14].

Enfin, toujours dans une volonté de protection du public, la Loi introduit le principe d’une responsabilité solidaire entre l’agent et l’influenceur en cas de dommage causé à un tiers dans l’exécution du contrat.

Dans le cadre des contrats d’influence commerciale conclus entre les influenceurs et les entreprises pour la promotion des biens et services que ces dernières commercialisent, le contrat doit être écrit et contenir les clauses mentionnées pour le contrat d’agent, et ce à peine de nullité.

En outre, le contrat doit contenir les informations suivantes :

  • la rémunération doit être déterminée ou déterminable ;
  • la nature des missions confiées, leur nombre et leur durée devront faire l’objet d’une description précise ;
  • lorsque le contenu de l’influenceur revêt le caractère d’originalité, celui-ci pourra faire l’objet d’une protection par le droit d’auteur, et donc le contrat devra prévoir les modalités d’exploitation de ce contenu par l’entreprise.

Le droit français est le droit applicable lorsque le public visé par la promotion est un public français, même lorsque l’influenceur est étranger [15].

 

Les sanctions et contrôles

La DGCCRF pourra enjoindre aux influenceurs de se conformer à leurs obligations ou de cesser tout agissement illicite [16]. Ces injonctions pourront faire l’objet d’une mesure de publicité et une astreinte pourra être prononcée en cas de non-respect de l’injonction [17].

Si ces injonctions sont insuffisantes, des sanctions pourront être prononcées :

  • En matière de publicité interdite
Pratique Fondement Sanction
Promotion de produits et services financiers Art. L.222-16-1, al.5 c.conso.

Art.L.222-16-2, dernier al.c.conso.

Amende de 100 000 euros
Promotion en faveur d’abonnements à des conseils ou à des pronostics sportifs (pratique commerciale trompeuse) Art. L.132-2 c.conso Amende de 300 000 euros et deux ans d’emprisonnement
Promotion de jeux d’argents et de hasard sans respecter les obligations de l’article 4 de la Loi Art. L.324-8-1 c. secur.inter.

Art. 4 de la Loi

Amende de 100 000 euros
Promotion de biens ou services interdit par l’article 4 de la Loi Art. 4 de la Loi Amende de 300 000 euros et deux ans d’emprisonnement

 

De plus, les influenceurs risquent une peine d’interdiction définitive ou provisoire d’exercer l’activité professionnelle[18].

  • En matière de manquement aux obligations d’information
Pratique Fondement Sanction
Violation de l’obligation de la mention explicite du terme « publicité » (pratique commerciale trompeuse) Art. 5 de la Loi Amende 300 000 euros et deux ans d’emprisonnement
Violation de l’obligation d’une mention pour les images retouchées ou générées par une intelligence artificielle Art. 5 de la Loi Amende de 4.500 euros et un an d’emprisonnement
Violation de l’obligation d’une mention spécifique pour la promotion des formations professionnelles Art. 5 de la Loi Amende de 4.500 euros et un an d’emprisonnement

 

Afin d’aider les influenceurs à adapter leurs comportements sur les réseaux sociaux, un « code de bonne conduite » a été édicté à la suite de la concertation nationale sur le métier d’influenceur mené par le Ministère de l’économie contenant notamment :

  • les démarches administratives à suivre permettant de déclarer son activité ;
  • la protection juridique des contenus créés par l’influenceur ;
  • les règles relatives au droit d’auteur concernant l’utilisation de musique dans les contenus des influenceurs.

Outre la régulation de l’activité d’influence commerciale, la régulation des contenus numériques est au cœur des préoccupations depuis quelques années. La Loi renforce les obligations des plateformes en ligne qui devront établir des mécanismes permettant de signaler les contenus manifestement illicites[19].

Cette obligation est dans la droite lignée du Digital Services Act (DSA) qui a instauré le mécanisme de « signaleur de confiance ». Les signaleurs de confiance sont des entités « qui ont démontré qu’elles possèdent une expertise et une compétence particulières dans la lutte contre les contenus illicites et qu’elles travaillent de manière diligente, précise et objective. »[20]. A ce titre, lorsque les signalements proviennent d’un signaleur de confiance, les fournisseurs de plateforme en ligne[21] ont l’obligation de prendre les mesures nécessaires pour que leurs notifications soient traitées de façon prioritaire[22]. Le DSA met en outre à la charge des plateformes les obligations suivantes :

  • établir des dispositifs de modération de contenus efficaces[23];
  • prévoir des garanties pour le respect et le libre exercice de la liberté d’expression[24];
  • établir des rapports de transparence et d’atténuation des risques[25].

 

Le Ministre de l’économie a annoncé la création d’une brigade de quinze (15) agents dédiée à l’influence commerciale[26]. En outre, un rapport d’évaluation de la Loi dans les deux ans suivant sa publication ainsi qu’un rapport d’évaluation sur l’évolution et l’adéquation des moyens de la DGCCRF notamment dans le cadre de ses enquêtes seront établis par le Gouvernement[27].

Les contrôles et sanctions risquent de s’intensifier et les décisions sont à suivre de près avant que le gouvernement ne dresse le bilan en juin 2025.

 


 

[1] Loi n° 2023-451 du 9 juin 2023 visant à encadrer l’influence commerciale et à lutter contre les dérives des influenceurs sur les réseaux sociaux ;

[2] Propos de Bruno Le Maire, Ministre de l’Economie et des Finances, Dossier de presse, 24 mars 2023 « Accompagner les influenceurs, protéger les consommateurs »

[3] Communiqué de presse de la DGCCRF du 28 juillet 2021, condamnation de Nabilla Benattia-Vergara, une amende transactionnelle avait été conclue

[4] Article 4 VII, loi n° 2023-451 du 9 juin 2023

[5] Article 4 VII, loi n°2023-451 du 9 juin 2023

[6] Article 5 III, loi n°2023-451 du 9 juin 2023

[7] Article 5 II 1°, loi n°2023-451 du 9 juin 2023

[8] Article 5 II 2°, loi n°2023-451 du 9 juin 2023

[9] Article 14, loi n°2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance pour l’économie numérique ; Article 6, loi n°2023-451 du 9 juin 2023

[10] Article L.221-5 du code de la consommation

[11] Article 6, loi n°2023-451 du 9 juin 2023

[12] Article 7, loi n° 2023-451 du 9 juin 2023

[13] Article 8, loi n° 2023-451 du 9 juin 2023

[14] Ibid.

[15] Article 8, loi n°2023-451 du 9 juin 2023

[16] Article L.521-5 du code de la consommation : « Lorsque du fait d’un manquement à la réglementation prise pour l’application des dispositions du livre IV ou d’un règlement de l’Union européenne, les conditions de fonctionnement d’un établissement sont telles que les produits fabriqués, détenus ou mis sur le marché présentent ou sont susceptibles de présenter un danger pour la santé publique ou la sécurité des consommateurs, les agents habilités peuvent ordonner toutes mesures correctives, notamment le renforcement des autocontrôles, des actions de formation du personnel, la réalisation de travaux ou d’opérations de nettoyage. En cas de nécessité, l’autorité administrative peut prononcer par arrêté la fermeture de tout ou partie de l’établissement ou l’arrêt d’une ou de plusieurs de ses activités. »

[17] Article 12, loi n°2923-451 du 9 juin 2023

[18] Article 4, loi n°2023-451 du 9 juin 2023

[19] Article 10, loi n°2023-451 du 9 juin 2023

[20] Règlement (UE) 2022/2065 article 22

[21] Les fournisseurs sont des « personnes physiques ou morales qui assurent, même à titre gratuit, pour mise à disposition du public par des services de communication au public en ligne, le stockage de signaux, d’écrits, d’images, de sons ou de messages de toute nature fournis par des destinataires de ces services » (art. 6.I.2, LCEN)

[22] Article 11, loi n°2023-451 du 9 juin 2023,

[23] Règlement (UE) 2022/2065 du Parlement européen et du Conseil du 19 octobre 2022

[24] Article 14, Règlement (UE) 2022/2065 du Parlement européen et du Conseil du 19 octobre 2022

[25] Article 35, Règlement (UE) 2022/2065 du Parlement européen et du Conseil du 19 octobre 2022

[26] Influenceurs et créateurs de contenus : des mesures pour encadrer et accompagner les professionnels du secteur. https://www.economie.gouv.fr/influenceur-createur-contenu-mesures-encadrement

[27] Article 17, loi n°2023-451 du 9 juin 2023,

Guides pratiques

Promotion de Loi Egalim
Salles de sport : anticiper et gérer les risques de contrôle de la DGCCRF
Abus de position dominante
Guide pratique e-commerce