Le covid-19 pourrait-il constituer une cause de suspension des prescriptions civiles extinctives ?
Réflexions sur l’application de l’article 2234 du Code civil au covid-19
Gilles Martha, Avocat associé, BBLM Avocats
La prescription extinctive est un mode d’extinction d’un droit résultant de l’inaction de son titulaire pendant un certain laps de temps. Cette définition, qui résulte de l’article 2219 du code civil, a des conséquences importantes dans un procès civil puisqu’elle sanctionne le plaideur négligent, qui a introduit sa demande après l’expiration de ce délai.
La prescription est ainsi une fin de non-recevoir au sens de l’article 122 du code de procédure civile. Le plaideur qui agit trop tard, sera déclaré irrecevable en sa demande, sans examen au fond, et ce moyen de défense pourra lui être opposé par son adversaire pour la première fois même en appel.
La prescription de droit commun est, depuis la réforme opérée par la loi n°2008-561 du 17 juin 2008, de cinq ans à compter du jour « où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exerce » (article 2224 du code civil).
Mais qu’en est-il dans certaines situations exceptionnelles, lorsque notamment le titulaire de ce droit n’est pas en mesure d’agir pour des raisons indépendantes de sa volonté ?
L’article 2234 du code civil a envisagé cette situation en faisant valoir que « la prescription ne court pas ou est suspendue contre celui qui est dans l’impossibilité d’agir par suite d’un empêchement résultant de la loi, de la convention ou de la force majeure[1] ».
Le COVID-19 pourrait-il alors être considéré comme un cas de force majeure permettant, sur le terrain processuel, soit de ne pas faire courir la prescription soit de suspendre les effets d’une prescription qui a déjà commencé à courir ?
La [nouvelle] définition de la force majeure se trouve à l’article 1218 du code civil : « Il y a force majeure en matière contractuelle lorsqu’un événement échappant au contrôle du débiteur, qui ne pouvait être raisonnablement prévu lors de la conclusion du contrat et dont les effets ne peuvent être évités par des mesures appropriées, empêche l’exécution de son obligation par le débiteur ».
La jurisprudence rendue en matière de maladies et d’épidémies semble plutôt donner, en matière contractuelle, une réponse négative. Les juges du fond ont en effet pu estimer que certaines maladies (grippe H1N1, virus de la dengue, virus du chikungunya) étaient connues, de même que leurs risques de diffusion et leurs effets sur la santé et ont donc écarté, en matière contractuelle, la force majeure les concernant[2].
De telles solutions sont-elles transposables en matière processuelle au COVID-19 ?
De ce point de vue, l’appréciation de la force majeure en matière processuelle pourrait être différente de celle que l’on pourrait retenir en matière contractuelle. Et si nous avons vu que les premières prises de position du Gouvernement était de considérer le COVID-19 comme un cas de force majeure en matière contractuelle, cette analyse doit-elle être transposée en matière processuelle ?
La réforme de la prescription opérée en 2008 consacre le lien entre le cours de la prescription et la possibilité pour le créancier d’agir pour réclamer son dû. Dans ce contexte, il appartient donc à celui qui entend bénéficier de la suspension légale du délai de prouver son impossibilité d’agir pour une cause répondant à la définition de la force majeure, c’est-à-dire, en définitive, de prouver qu’il n’était pas en mesure d’interrompre ce délai.
Il convient de rappeler que la prescription n’est interrompue, dans les cas les plus fréquents, que par la demande en justice (article 2241 du code civil).
Les mesures prises par le gouvernement ont-elles alors des effets sur l’action en justice ?
A priori, pas vraiment, pour deux raisons au moins :
- En premier lieu, les huissiers de justice, qui sont les officiers ministériels ayant le monopole de la signification des actes extra-judiciaires (notamment de l’assignation qui constitue la demande en justice), n’ont pas tous cessé leurs activités. Certaines études continuent de signifier des actes. Partant de ce constat, l’impossibilité d’agir sera difficile à prouver sauf si aucune étude territorialement compétente n’a été en mesure, par mesures de protection et en l’état des restrictions affectant les déplacements, de signifier l’acte. Et dans ce cas, le requérant qui voulait interrompre le délai devra se préconstituer la preuve de cette impossibilité.
- En second lieu dans la mesure où même si une contestation devait être élevée sur la régularité de l’acte signifié, l’article 2241 alinéa 2 du code civil précise que l’interruption produit son effet « lorsque l’acte de saisine de la juridiction est annulé par l’effet d’un vice de procédure », ce vice pouvant être un vice de forme ou un vice de fond.
Reste la caducité de l’assignation. La caducité de l’assignation fait disparaitre son effet interruptif. Or, tel pourrait être le cas si l’assignation n’était pas enrôlée dans les délais requis par la loi ce qui, en l’état des mesures de fermeture des juridictions et de l’arrêt du réseau privé virtuel des avocats, n’est pas une hypothèse théorique.
On pourrait alors concevoir dans ce cas que les mesures prises pour lutter contre le COVID-19 constituent, au plan procédural, un cas de force majeure qui empêche l’introduction d’une demande en justice.
On le voit, la question de savoir si le COVID-19 peut caractériser en matière processuelle la force majeure au sens de l’article 2234 du code civil, n’est pas aisée.
La sécurité juridique commanderait que des mesures soient clairement adoptées sur ce point durant cette période pour considérer qu’il constitue un cas de force majeure au sens de l’article 2234 dudit code.
Le Conseil d’Etat a été saisi le 17 mars dernier d’un projet de loi qui comporte notamment un volet juridictionnel. Ce texte autorise l’adaptation, l’interruption, la suspension ou le report des délais prévus à peine de nullité, caducité, forclusion, prescription…Le projet du Gouvernement prévoyait que ces mesures prendraient effet au 14 mars 2020. Toutefois, au regard de l’ampleur des mesures destinées à juguler la crise sanitaire déjà entrées en vigueur le 12 mars, le Conseil d’État a proposé de retenir cette date et de préciser qu’elles ne pourront excéder de plus de trois mois la fin des mesures de police administrative prises pour lutter contre l’épidémie par le Gouvernement.
Ce projet est actuellement en discussion. Nous vous tiendrons informés mais dans l’attente de connaitre la teneur des ordonnances, il convient, par prudence et dans la mesure du possible, de continuer de faire signifier des actes interruptifs.
Gilles MARTHA, Avocat associé
– Tél. 06.83.05.90.23
[1] Nous soulignons.
[2] Besançon, 8 janv. 2014, n° 12/0229 ; Nancy, 22 nov. 2010, n° 09/00003 ; Basse-Terre, 17 déc. 2018, n° 17/00739.
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A jour au 23 mars 2020
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