Que devient le principe de la force obligatoire des contrats face à la crise sanitaire ? Comment sont-ils impactés ? 

Les annonces gouvernementales sur le report temporaire du paiement des loyers et autres factures (électricité, eau etc…) ont pu surprendre, tant elles apparaissent constituer une immixtion dans la liberté contractuelle.

En réalité, elles ont été instituées au seul bénéfice des micro-entreprises.

Une période de protection de la partie la plus faible, dite « juridiquement protégée », a été instaurée prenant fin le 24 mai 2020 à minuit (article 4 de la loi n°2020-290 du 23 mars 2020), sauf prolongation ou, au contraire, fin anticipée.

Hormis ce report de paiement dans des conditions très limitées, le législateur est intervenu pour paralyser l’effet des clauses contractuelles sanctionnant le retard ou les inexécutions (article 1 de l’ordonnance n°2020-316 du 25 mars 2020), pendant cette même période. Puis, une seconde Ordonnance (n°2020-427 du 15 avril 2020) est venue modifier le report des effets de ces clauses sanctionnatrices ou comminatoires à une date fixée selon une règle complexe de computation des délais.

Finalement, le législateur a édicté peu de mesures dérogatoires à la force obligatoire des contrats : ainsi, les échéances et les obligations contractuelles demeurent.

Pour ces dernières, certaines règles existantes de droit commun peuvent néanmoins être invoquées, qui prévoient, dans des conditions très strictes, une adaptation des relations contractuelles en cas de survenance de circonstances exceptionnelles.

Sur le fondement de ces règles, comment faire appliquer ou, au contraire, évoluer les contrats conclus avec vos fournisseurs, partenaires ou clients ? Quels sont les outils juridiques à votre disposition en réponse aux incidents dans vos relations ?

Tel est l’objet de la présente note.  

  1. Vis-à-vis de vos fournisseurs et partenaires:

En cette période de crise sanitaire, les échéances contractuelles sont maintenues, mais les clauses sanctionnant leurs inexécutions sont neutralisées.

Si toutefois, vos fournisseurs et partenaires n’exécutent pas leurs obligations, sachez que si une clause pénale stipulée dans votre contrat devait prendre cours avant le 12 mars 2020, ce dernier reprendra dès le 25 mai 2020 (ou le lendemain de la fin de la période d’urgence sanitaire si elle était prorogée).

Si du fait d’une inexécution survenue après le 12 mars 2020, vous souhaitiez vous libérer de votre contrat en le résiliant, son effet sera reporté, après la fin de la période d’urgence, à une date correspondant au « temps écoulé entre le 12 mars 2020 ou, si elle est plus tardive, la date à laquelle l’obligation est née, et la date à laquelle elle aurait dû être exécutée ». Pour une obligation de faire (et non de paiement d’une somme d’argent), la seconde date butoir est celle de la fin de la période juridiquement protégée (article 4 de l’Ordonnance du 15 avril 2020).

On le voit, le calcul des délais est complexe. Ce qu’il faut retenir est que, compte tenu de ces reports, il convient de mesurer l’opportunité d’adresser une mise en demeure comminatoire à votre cocontractant, ou alternativement de patienter pendant cette période, en espérant que votre débiteur honorera entretemps ses engagements. 

Si au lieu d’exécuter tardivement, votre partenaire ou fournisseur justifie une suspension de ses engagements sur le fondement de la survenance d’un cas de force majeure (article 1218 Code civil), il devra démontrer son caractère irrésistible et imprévisible, ce qui sera le cas :

  • Si le contrat a été signé ou renouvelé avant la période d’urgence sanitaire : le point de départ de cette période devrait être au plus tard la date des premiers arrêtés limitant l’activité économique des entreprises, à savoir les 4 ou 13 ou 14 mars 2020, selon la situation invoquée (celle de l’annonce du 28 février 2020 par le Ministre de l’Economie, visant spécifiquement les marchés publics de l’Etat),
  • S’il justifie d’une impossibilité d’exécuter son obligation de faire (rupture totale d’approvisionnement, arrêt total de ses activités, le cas échéant, fourniture de prestations dans un lieu non sécurisé…) et ne dispose pas d’autres moyens ou solutions alternatives (par un autre fournisseur par exemple) pour s’exécuter,
  • S’il a respecté la procédure prévue dans votre contrat ou dans vos conditions générales d’achat (notification préalable, durée de la suspension…), lorsqu’elle existe.

Après avoir vérifié que les circonstances invoquées entrent bien dans la définition d’un cas de force majeure, votre réponse pourrait être de :

  • Suspendre vos propres obligations (de paiement par exemple) sur le fondement de l’exception d’inexécution, et à condition que l’inexécution de votre fournisseur soit bien totale ou suffisamment grave (article 1219 du code civil) ;
  • Réduire unilatéralement et à due proportion le prix d’une livraison ou d’une prestation partielle ou incomplète, sous réserve d’une notification dans les meilleurs délais, le débiteur mécontent devant saisir un juge (article 1223 du code civil); 
  • Demander à renégocier votre contrat, si sa poursuite entraînait des conséquences manifestement excessives (sous réserve que le contrat soit signé avant le 1er octobre 2016, date de l’entrée en vigueur de l’article 1195 du Code civil et que vous démontriez un déséquilibre fondamental), sachant que vous devrez, pendant les discussions, continuer à exécuter vos obligations et qu’en cas d’échec, le juge pourra être difficilement saisi, en cette période de suspension du calendrier judiciaire ;
  • Si la suspension devient définitive et l’inexécution grave, il vous est loisible de résilier le contrat après une mise en demeure préalable restée infructueuse (article 1226 du code civil), avec effet après la fin de l’état d’urgence (à une date fixée selon les règles visées ci-dessus), sans toutefois pouvoir être indemnisé par votre fournisseur à ce titre.

Si, à l’inverse, la crise actuelle engendrait des difficultés de trésorerie vous empêchant de régler les factures de votre fournisseur ou partenaire, il est recommandé de le notifier formellement, puis dès la date reportée (déterminée selon les modalités visées ci-dessus), de veiller à régler vos arriérés, sauf à les contester ou requérir des délais de paiement auprès du juge.

  1. Vis-à-vis de vos clients:

Si vos livraisons prenaient du retard, il ne pourrait vous être réclamé le paiement de pénalités ou appliqué  les autres sanctions prévues dans votre contrat qu’après la période juridiquement protégée, aux dates précises visées ci-dessus.  

Il vous serait possible également d’invoquer la force majeure pour justifier la suspension de vos livraisons, si les conditions d’imprévisibilité et d’irrésistibilité décrites ci-dessus sont réunies. En ce cas, il faut adresser à votre cocontractant un courrier motivé, dans les plus brefs délais, par lettre recommandée avec AR ou dans les formes prévues dans vos conditions générales de vente ou votre contrat.

Une possibilité de renégociation peut vous être également ouverte, si l’équilibre du contrat est à ce point altéré.

Enfin, sachez que si vos contrats arrivent à terme ou doivent être dénoncés ou renouvelés pendant cette période juridiquement protégée, les délais de fin de contrat ou de renouvellement sont reportés de deux mois suivant la fin de cette période, soit le 25 juillet 2020 (article 5 de l’ordonnance n°2020-304 du 23 mars 2020).

En conclusion, dans la gestion de vos contrats, comme de votre santé, des mesures de précaution s’imposent, à savoir :

  • en tant que mesure « barrière» en cette période de confinement, tester (ou plutôt analyser) l’état de chaque contrat concerné, avant de déterminer une stratégie de défense de vos droits et d’adaptation éventuelle aux circonstances actuelles,  
  • pour l’avenir, prévenir les risques en inoculant à vos contrats existants ou vos futurs contrats la dose suffisante de prévision pour éliminer ou atténuer les dangers d’une récidive susceptible d’en perturber la bonne exécution ou d’engager la responsabilité de votre entreprise.

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Marseille, le 30 avril 2020

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