Dans une décision du 27 septembre 2018, le Conseil constitutionnel a déclaré que le contrôle économique du juge sur la construction du prix était conforme à la Constitution.
Lorsqu’il est amené à identifier une pratique restrictive de concurrence, le juge peut contrôler l’équilibre d’un contrat.
Parmi ces pratiques restrictives, on trouve notamment le fait pour un professionnel de soumettre un partenaire commercial à un déséquilibre important dans les obligations respectives qu’il entretient avec son cocontractant.
Ainsi, selon l’article L442-6 I 2° du Code de commerce, tout producteur, commerçant, industriel ou toute personne inscrite au répertoire des métiers engage sa responsabilité lorsqu’il soumet ou tente de soumettre un partenaire commercial à des obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties.
Bien que cet article constitue une exception au principe de libre négociation, le prix échappait jusqu’ici au contrôle du juge.
En effet, en principe le juge ne peut en aucun cas s’immiscer dans la liberté contractuelle en opérant un contrôle sur le prix convenu par les parties, selon une règle consacrée dans le Code de commerce et dans le Code de consommation.
Toutefois, le 25 janvier 2017, la Cour de cassation a considéré que le principe de négociation n’est pas absolu et que le juge peut exercer un contrôle du prix convenu entre professionnels.
Dans cette affaire, le Ministère de l’Economie avait assigné une centrale d’achat du groupe Leclerc pour avoir imposé certaines clauses à 46 de ses fournisseurs.
Il s’agissait de clauses tarifaires qui donnaient lieu au versement de ristournes de fin d’année en contrepartie de la constatation d’un courant d’affaire non chiffré et au versement d’acomptes mensuels prévisionnels de ristournes avant le paiement des marchandises et alors même que l’engagement du distributeur n’était effectif qu’à la fin de l’année.
Après avoir été débouté en première instance, le Ministre de l’Economie a vu ses demandes accueilles favorablement par les juges d’appel. La Cour a alors condamné la centrale d’achat des centres Leclerc au paiement d’une amende civile de 2 millions d’euros et au versement de 61,3 millions d’euros au titre des sommes indument perçues.
Les juges ont toutefois précisé que cette condamnation visait le mécanisme de mise en œuvre des ristournes et non le niveau des prix.
Après un pourvoi en cassation, le défendeur à l’instance avait alors remis en cause la constitutionnalité de cette interprétation auprès du Conseil constitutionnel. Finalement, le Conseil a validé l’interprétation de la Cour de cassation dans sa décision du 27 septembre 2018.
Par conséquent, il est désormais possible pour les juges de contrôler et remettre en cause un prix dès lors qu’il crée un déséquilibre significatif dans les obligations des partenaires commerciaux.
Or, les conséquences de cette décision sont particulièrement importantes au regard de l’étendue des demandes que le Ministre peut formuler au juge dans de telles actions.
En effet, au-delà de la simple reconnaissance de responsabilité, celui-ci peut demander au juge de prononcer une amende civile pouvant aller jusqu’à 2 millions d’euros ou au triple des avantages indument perçus ou encore à 5% du chiffre d’affaire national de l’entreprise. Il peut même demander la nullité du contrat ou des clauses visées.
L’importance de ces sanctions doit toutefois être appréhendée au regard des personnes visées par ce régime.
En effet, ce dispositif vise principalement les grands distributeurs qui profitent souvent d’un déséquilibre dans leurs relations avec les fournisseurs.
Le fait de reconnaître au juge un pouvoir de contrôle des conditions tarifaires entre partenaires commerciaux vient dont appuyer cet objectif.
Pour éviter une telle condamnation, il est donc vivement conseillé aux distributeurs de mentionner dans leurs contrats les justifications ou contreparties à la détermination d’un avantage tarifaire qui pourrait être considéré comme non négocié.
Léo Bernard
Marseille, le 4 juillet 2109